LE  NOMBRE  D’OR

 

 

Entre mythe et réalité, les tenants du nombre d’or font feu de tout bois. Et c’est ainsi que les plus hautes réalisations artistiques de l’esprit humain se retrouvent frappées au coin du nombre d’or : le Parthénon et le Taj Mahal, la cathédrale de Gloucester et le château du Plessis‑Bourré, la gare de Perpignan et le Palais idéal du facteur Cheval. Une fois qu’on a passé la mesure, il n’y a plus de limite, disait Épictète. Les dimensions de la Grande Pyramide, la plus ancienne et la plus célèbre des sept merveilles du monde, celle qui a fait couler plus d’encre que l’Île de Pâques, les dessins de Nazca et le trésor des Templiers réunis, témoigneraient de ce que ses bâtisseurs connaissaient la vitesse de la lumière par micro‑seconde au micro‑mètre près. Demandons‑nous, plus prosaïquement, s’ils connaissaient le nombre d’or.

 

 

Le rectangle d’or

 

Le rectangle d’or est un rectangle dont la longueur est moyenne proportionnelle entre la largeur et le demi‑périmètre. Le nombre d’or est la proportion ainsi définie et on le représente par la lettre grecque phi (φ). Un calcul simple nous donne sa valeur exacte :

 

φ =

 

Longueur+largeur

 

=

 

Longueur

 

=

 

1  +

                 

√5

 

≈ 1,618

Longeur

largeur

2

 

Ce nombre jouit d’une propriété caractéristique :

φ = 1 +

1

φ

 

propriété qui se reporte sur le rectangle d’or :

 

IMG_20180720_0001

si on lui retire un carré comme indiqué ci‑dessus, le rectangle restant est encore un rectangle d’or. Et inversement, si on lui accole un carré sur la longueur, le rectangle obtenu est toujours un rectangle d’or. Sur le plan esthétique, à mi‑chemin entre le carré et des rectangles excessivement allongés, le rectangle d’or serait particulièrement harmonieux et incarnerait, si l’on ose dire, une espèce de rectangularité idéale.

 

 

Formats usuels

 

Pourtant, une étude statistique montre que, dans la peinture occidentale, des primitifs aux impressionnistes inclus, le format médian des tableaux est le 4/3 ≈ 1,33. À vrai dire, et y compris pour les paysages, il n’est guère de tableaux dont la forme se rapproche de celle du rectangle d’or. D’ailleurs, le format 4/3 demeurait, il y a peu, celui du papier à dessin ordinaire, vendu en feuilles de 24×32. Pareillement, le papier photo se vendait surtout, et se vend toujours, en feuilles de 18×24 et de 30×40. Ce fut également le format du cinéma muet, avant que le parlant, avec le film 35mm, n’imposât le standard du 11/8 ≈ 1,38. Mais ce n’est qu’à partir des années cinquante que le cinéma s’orienta vers une esthétique totalement différente, quand se répandirent, à peu près simultanément, le technicolor et le cinémascope, ce dernier faisant passer le septième art au format 2,35/1. Nonobstant, c’est encore avec des écrans 4/3 que naquirent la télévision puis l’informatique grand public, format qu’elles conservèrent jusqu’au début de ce siècle. Du point de vue géométrique, un rectangle 4/3 se compose de deux triangles « égyptiens ». Cest le seul rectangle dont la longueur est moyenne arithmétique entre la largeur et la diagonale. Mais il existe également un rectangle dont la longueur est moyenne géométrique entre la largeur et la diagonale et qui, lui aussi, se trouve lié au nombre d’or puisqu’il se caractérise par :

Diagonale

Longueur

=

Longueur

largeur

=

 

                  

√φ

 

≈  1,272

Ces trois formats, qui valent donc environ 1,27 pour ce dernier rectangle, 1,33 pour le format 4/3 et 1,62 pour le rectangle d’or, sont visualisés ci‑dessous :

 

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Les deux premiers sont déjà fort proches mais, entre eux, s’intercalent encore d’autres formats usuels tels le raisin (50×65 = 1,30) familier aux élèves des beaux‑arts, le format des cahiers d’écolier (17×22 ≈ 1,29) ou celui de l’ancien papier à écrire (21×27 ≈ 1,29). On remarquera que tous ces formats correspondent, peu ou prou, au champ visuel binoculaire.

 

 

Tracés géométriques

 

Pour toutes les constructions géométriques liées au nombre d’or, depuis le « partage d’un segment en extrême et moyenne raison » jusqu’au tracé du pentagone régulier, en passant par celui du rectangle d’or, la figure de base repose sur le triangle rectangle 1×2 car, pour un segment donné, elle fournit à la fois le segment φ fois plus grand et le segment φ fois plus petit :

 

AN

AB

=

AB

AM

=

j

 

IMG_20180708_0003

 

Pour la construction du pentagone régulier, par exemple, si AB est le côté, la diagonale est égale à AN. Deux coups de compas, respectivement en A et en B, livrent alors le sommet D, et un coup de compas en D, les sommets C et E.  

 

 

 

 

LA  GRANDE  PYRAMIDE

 

 

Il reste une quinzaine de grandes pyramides, de 50m à près de 150m de hauteur, datant de l’Ancien Empire (de ~2700 à ~2300). Certaines furent construites comme pyramides à degrés mais, classiquement, les degrés étaient ensuite comblés par des blocs de calcaire, soigneusement polis de manière à obtenir des faces parfaitement planes et lisses. Les constructeurs avaient à résoudre de sérieux problèmes pratiques (manutention et transport des matériaux, organisation du chantier, intendance…) mais, pour ce qui est de la forme extérieure du bâtiment, sa réalisation est, en principe, d’une simplicité dérisoire. En effet, la forme d’une pyramide est entièrement déterminée par un paramètre unique, l’angle d’inclinaison de ses faces. On le caractérise par sa pente, autrement dit sa tangente trigonométrique (cf. dessin ci-dessous), qui est égale au rapport : hauteur/demi-côté. On la retrouve naturellement de degré en degré. La base étant mise en place, il suffit ensuite, pour chaque assise, de veiller à ce que son retrait, par rapport à la précédente, respecte bien la pente.

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h : hauteur     c : côté     m : médiane     pente = 2h/c

 

Le triangle en pointillé peut être considéré comme le gabarit de construction du bâtiment. Pour la moitié des pyramides de cette époque, la pente vaut 11/3 et c’est alors le triangle égyptien qui sert de gabarit. On trouve aussi d’autres valeurs, mais ce sont toujours des valeurs simples : elles ne comportent qu’une seule fraction égyptienne après la partie entière. (Une fraction égyptienne est l’inverse d’un entier.) Exemples :

 

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       Ounas                        Khéphren                       Mykérinos                         Sahourê

    (Saqqarah)                       (Gizeh)                           (Gizeh)                          (Abousir)

p = 11/2                        p = 11/3                          p = 11/4                           p = 11/5

 

Après plus de quatre millénaires d’érosion et de dégradations volontaires (récupération de matériaux de construction, pillages), le revêtement des faces a disparu en totalité ou en grande partie, le sommet et les arêtes sont émoussés et la base plus ou moins profondément ensablée. Il est donc impossible de connaître les dimensions exactes à l’origine. Mais la pente, insensible aux outrages du temps, peut toujours être mesurée avec précision et, comme on sait qu’elle correspond à un nombre simple (dans la notation égyptienne), elle est connue sans ambiguïté. Il y a néanmoins une exception ; pour la plus grande des pyramides, celle de Khéops, à Gizeh, le gabarit adopté est le suivant :

 

IMG_20180719_0003

 

Respectueux de la tradition et routiniers comme l’étaient les Égyptiens, ils devaient avoir une bonne raison pour avoir fait un choix aussi inhabituel. Comment l’expliquer ?

 

 

Les deux hypothèses

 

Les partisans du nombre d’or affirment que chaque face de la pyramide est un rectangle d’or, coupé en diagonale de manière à former un triangle isocèle :

 

IMG_20180709_0005

Il en découle que le rapport de la médiane d’une face au demi‑côté est égal au nombre d’or. Par suite, le gabarit de construction a la forme du triangle dessiné à droite, h étant la hauteur de la pyramide. On en déduit la valeur de la pente :

 

p

 

=

                  

√φ

 

 

1,272 020

 

La seconde hypothèse suppose que les bâtisseurs aient choisi pour hauteur le rayon d’un cercle ayant même périmètre que la base. Dans ce cas, un rapide calcul nous apprend que l’on a : hauteur/demi‑côté = 4/π. Et, à condition de prendre π = 31/7, la pente vaut exactement :

p =

4

31/7

=

14

11

≈ 1,272 727

Mais d’aucuns, prétendant s’appuyer sur le papyrus Rhind (~1700), affirment que les Égyptiens de l’époque ne connaissaient pas de meilleure valeur de π que 256/81 ≈ 3,1605. C’est une plaisanterie ! ce nombre n’apparaît même pas dans le papyrus en question. Le document ne contient qu’une recette pour calculer l’aire du disque, recette consistant à amputer le diamètre d’un neuvième puis à élever le résultat au carré. Nous pouvons bien, aujourd’hui, en déduire que cela revient à multiplier le carré du rayon par 3,1605 mais ce n’est pas ce que faisaient les Égyptiens. Pour calculer l’aire du disque, ils n’utilisaient pas d’autre constante que l’inverse de 9. Par contre, pour calculer le périmètre du cercle, il est évident qu’ils connaissaient la valeur 31/7. C’est une valeur qu’on déterminait naguère, dans les classes du primaire, avec une boîte de camembert et un bout de ficelle. Pour les Égyptiens de l’époque, d’ailleurs, le problème se limitait sans doute à choisir entre les valeurs   31/8 ≈ 3,125   31/7 ≈ 3,143   31/6 ≈ 3,167   et cela ne demande pas une grande finesse expérimentale. Mais ce qu’il convient de noter, c’est qu’entre la construction des pyramides et le papyrus Rhind s’écoulent près de mille ans et que, pendant tout ce temps, les Égyptiens n’ont jamais réalisé, fût‑ce de manière empirique, que ce nombre qu’ils connaissaient donc (11/14 ≈ π/4), permet de calculer très simplement à la fois l’aire et le périmètre du disque*. Cela marque bien la limite des connaissances mathématiques à cette époque. Rappelons qu’il faut attendre encore un gros millénaire après le papyrus Rhind pour voir naître Thalès et Pythagore.

 

* Il suffit en effet de multiplier par π/4 l’aire ou le périmètre du carré pour obtenir les valeurs correspondantes du cercle inscrit, comme il suffit de multiplier par π/6 l’aire ou le volume du cube pour obtenir les valeurs correspondantes de la sphère inscrite.

 

Au bout du compte, les dimensions de la grande pyramide ne diffèrent que de quelques centimètres à peine d’une hypothèse à l’autre :

h = 146,58m et c/2 = 115,17m      p = 1,272 727

h = 146,55m et c/2 = 115,21m      p = 1,272 020

Comme les Égyptiens ne bâtissaient pas avec une telle précision, ce ne sont pas les mesures qui permettent de trancher. Il faut se fonder sur d’autres critères et se demander, pour commencer, si les Égyptiens de l’époque pouvaient connaître, d’une part le nombre d’or et, d’autre part, la valeur π ≈ 22/7. Pour cette dernière, nous venons de le dire, elle est si simple à déterminer expérimentalement que cela ne fait aucun doute. À l’opposé, pour le nombre d’or, nous n’avons pas le moindre témoignage avant Euclide et tout ce que nous savons des Égyptiens indique qu’ils étaient bien loin du niveau de spéculation mathématique qu’atteindront les Grecs 2 000 ans plus tard. Par ailleurs, il serait absurde d’inférer qu’ils connaissaient le nombre d’or du seul fait que cette hypothèse conduit à un résultat numérique acceptable, alors qu’on dispose d’une explication bien plus crédible. Prenons un autre exemple : la grande rose de Notre‑Dame de Paris est inscrite dans une bordure carrée. Dans ce cas aussi on observe que :

 

Périmètre du carré =

                  

√φ

 

× Périmètre du cercle

à moins de 0,1% près,

car cette approximation numérique est toujours vraie. Peut‑on en conclure que l’architecte a voulu inscrire le nombre d’or dans la cathédrale ? Que ce soit pour la cathédrale ou pour la pyramide, nous sommes strictement dans la même situation : l’hypothèse du nombre d’or est purement adventice. Enfin, le dernier élément à prendre en compte, s’il en était encore besoin, est la motivation des constructeurs sur le plan symbolique. À supposer que le nombre d’or leur fût connu, qu’est‑ce qui aurait bien pu les pousser à vouloir l’inscrire dans la pyramide ? Quel rapport avec le pharaon ? On se perd en conjectures. Au contraire, dans l’hypothèse du nombre π, le message apparaît clairement. Pharaon est fils de Rê mais, de manière générale, une pyramide n’a aucun rapport avec le cercle. En choisissant cette pente particulière, les bâtisseurs ont trouvé le moyen de rattacher symboliquement le monument au disque solaire. Ce faisant, ils reprenaient la pente de 14/11 qui avait déjà été utilisée pour la pyramide de Houni, à Meïdoum, au siècle précédent. Ainsi, c’est la valeur π ≈ 22/7 qu’ils ont inscrite dans ces deux monuments et il est parfaitement inutile d’imaginer que le nombre d’or aurait pu leur être transmis directement par les Atlantes ou par le Père Noël, en croisière sur le Nil en ces temps‑là.

 

 

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